Il est
dangereux de vouloir arracher de l'amour la pointe du désir pour le rendre plus
pur. Alors nous risquons de l'anéantir. Le désir doit être contenu et non point
étouffé. Il meurt quand il est satisfait, mais il devient plus fort en changeant
d'objet et il ne cesse de produire de nouveaux fruits pour l'éternité quand il
ne cherche pas son terme dans une satisfaction d'un instant.
L'amour résume de la manière la
plus claire et la plus vive tous les traits de notre conscience. C'est en lui
que l'on voit le mieux notre pensée osciller tout entière du souvenir au désir,
réveiller le souvenir par le désir, alimenter son élan vers l'avenir avec les
images du passé et chercher sans y parvenir un état stable dans lequel le désir
et le souvenir viendraient s'identifier, le souvenir suffisant à la fois à
éveiller le désir et à le satisfaire : cette satisfaction aurait triomphé du
temps, de la résistance et même de la dualité de l'objet et du sujet. Elle
serait sinon permanente, du moins disponible, elle serait devenue spirituelle.
Refus du désir
Celui dont on dit qu'il se
contente de peu n'est pas toujours un aveugle insensible à toutes les
possibilités qui pourraient lui être données : c'est souvent un esprit lucide
et vigoureux capable de découvrir dans ce qui lui est offert infiniment plus de
richesse que dans toutes les suggestions d'une imagination incertaine et volage
qui fuit sans cesse le réel et reste toujours incapable de s'y poser.
Le désir le plus profond
Lorsque nous avons fait naître
en nous ce désir qui est le plus profond de tous les désirs, il ne se distingue
plus de sa propre satisfaction. En lui le mouvement et le repos se confondent ;
c'est un acte qui est devenu un état. Il n'a pas besoin de sortir de lui-même
et pourtant il est tout entier hors de lui-même et déjà présent dans ce qui le
comble.
Tout l'effort de notre vie tend
à abolir tous les désirs particuliers pour faire naître en nous un désir sans
objet et constant ; ce qui donne à
chacune de nos actions une signification absolue et une valeur infinie.
Ce que l'on appelle en soi le
désir le plus profond, c'est aussi ce qu'on appelle le devoir lorsqu'on subit
le tourment des désirs particuliers.
Il ne peut y avoir une
possession de soi qui ne soit aussi exigence de la possession du monde. La
sagesse est de se contenter de ce qui nous est demandé (comme participation) et
d'être capable d'accomplir à l'égard de tout le reste un acte d'acceptation.
On condamne souvent le désir en
pensant que nous ne faisons que le subir. Mais il faut encore l'accepter et y
consentir. C'est lui qui crée le lien entre la nature et le monde en maintenant
à la fois notre sujétion et notre indépendance. C'est un don qu'il dépend de
nous d'accepter, un manque auquel il faut consentir pour que les choses
elles-mêmes se chargent de le remplir.