La philosophie
donne une forme rationnelle et humaine à une vérité dont la source est
au-dessus de l'homme et même au-dessus de la raison.
Mais elle transforme en ténèbres la lumière divine dès qu'elle
entreprend de l'éclairer par une lumière humaine. C'est renverser l'ordre
véritable.
Il suffit de se détacher du
corps et de toutes les préoccupations de l'amour-propre pour être dans un état
constant d'inspiration et de grâce. La simple purification intérieure réussit à
produire toute seule cet effet, car notre essence est
toute spirituelle. C'est elle qui reste quand on s'est dépouillé de tout et non
point le néant.
Le difficile n'est pas tant
d'entendre la vérité que de s'effacer devant elle et de la laisser parler toute
seule. Mais nous voulons en être le héraut et l'interprète et nous y mêlons les
vapeurs de l'amour-propre qui ne cessent de
l'obscurcir et de la corrompre.
Le travail intellectuel ne
consiste pas à tendre son effort pour inventer quelque idée nouvelle et
inattendue, ni seulement à attendre qu'elle vienne nous visiter. Il consiste
dans une attention purificatrice qui chasse de la conscience tous les
mouvements du désir, toutes les préoccupations du souci et de la vanité,
jusqu'au moment où nous trouvons en nous ces pures opérations de la pensée,
dont on ne sait, au moment où on les rencontre, tant elles paraissent se faire
d'elles-mêmes, si on les découvre en soi comme des choses ou si c'est la
volonté qui les produit.
Conscience et inspiration
Il y a une dualité qui est inséparable de la conscience, qui oppose le
moi et le monde, de telle sorte que le moi n'est, semble-t-il, que le pur
pouvoir de penser et de juger et le monde une matière inerte incapable de lui
répondre et de le satisfaire. Mais le moi et le monde se détachent l'un de
l'autre à l'intérieur du même Tout, de telle sorte qu'en s'opposant ils doivent
s'accorder comme les deux bords d'une déchirure.
Mais c'est au-dessus de la conscience que l'on trouve l'unité qu'elle
rompt et qu'elle cherche sans cesse à restituer, comme on le voit dans la
spontanéité de la nature, dans les mouvements de l'inspiration ou de la grâce.
Le rôle de la conscience n'est pas de les produire ou de s'y substituer, mais
seulement de ne point les empêcher et d'en recueillir le fruit.
Il ne faut jamais solliciter
les idées : elles n'acceptent pas d'être forcées. Il nous est assez difficile
de savoir les reconnaître et les accueillir quand elles viennent. Et le vide de
ma pensée est lui-même creusé par toutes les idées qui m'ont une fois traversé
l'esprit et que j'ai laissé passer sans être capable de les retenir.
Il ne faut jamais méconnaître
en soi ce très léger avertissement toujours présent et à peine sensible par
lequel j'apprends à discerner le réel derrière l'apparence, la valeur derrière
le désir, le vœu secret du cœur derrière tout ce qui peut m'être imposé ou
commandé.
Nul ne manque jamais d'idées.
Mais elles ne surgissent pas à propos. Il semble qu'elles se présentent à nous
quand nous n'en avons que faire et qu'elles fuient quand nous en avons besoin
(quand nous les appelons). Cependant si l'esprit était assez désintéressé et
assez pur le besoin naîtrait en lui quand l'idée se présente, de telle sorte
que l'idée ne serait jamais sans emploi, ni le besoin sans nourriture.
La moindre pensée, comment
viendrait-elle de nous ? Elle nous est toujours donnée. C'est une expérience,
mais spirituelle.
Être au bord de l'inspiration,
où la conscience, au lieu de se refermer sur soi par la réflexion, est en
rapport avec la puissance créatrice.
Se maintenir dans un état
permanent d'inspiration c'est-à-dire de réceptivité intérieure pure (non pas
d'effort vers l'enthousiasme) de confiance et de foi.
Trouée et continuité de
l'inspiration : instant et temps. Le surréalisme est une théorie de
l'inspiration mais qui, pour nier le rôle de la volonté et de la raison,
accorde tout au hasard.
On ne fait rien de grand que si
on ne se rappelle rien. Là est l'inspiration qui est le contraire de la mémoire
et qui lui est pourtant identique.
L'inspiration peut être définie
comme une subordination du temps à l'éternité qui se réalise dans l'instant par
une sorte de rupture de l'ordre du devenir. Il faut être dans un état permanent
de rupture.