Le point le plus haut où nous
puissions atteindre est celui où nous obtenons cette parfaite simplicité dans
laquelle l'amour-propre ne pénètre plus, où aucune action ne laisse sur la
langue le moindre dégoût. Le dégoût, c'est un arrière-goût de l'amour-propre
dans ce que nous venons de faire. Mais un acte accompli avec simplicité est
immédiatement reçu par Dieu et trouve place dans la lumière de l'éternité sans
y laisser paraître aucune tache d'ombre.
Il ne faut chercher ni la
nouveauté qui nous fait perdre le contact avec les réalités les plus
familières, ni la totalité qui nous fait perdre le contact avec la situation où
nous sommes placés, mais une pureté intérieure qui illumine quelques vérités
très simples avec lesquelles toutes les tâches que nous avons à accomplir se
trouvent, sans que nous l'ayons cherché, naturellement accordées.
La Simplicité est toujours un
dépouillement intérieur par lequel, cessant d'être attentif à l'apparence même
que l'on donne de ce que l'on est, on obtient sans le vouloir une exacte
coïncidence entre ce que l'on montre et ce que l'on est.
Il n'y a de véritable
acquisition que dans le retranchement de tout ce qui jusque-là nous
asservissait. C'est pour cela que le progrès intérieur ressemble à l'œuvre du
sculpteur qui détache et rejette toujours du marbre quelque nouvel éclat,
plutôt qu'à l'œuvre du peintre qui ajoute toujours quelque nouveau trait à la
toile.
Celui qui cherche toujours
quelque richesse nouvelle, même la connaissance, disperse et aliène en elle
toutes les puissances intérieures dont il dispose. Le propre de la simplicité,
c'est de nous replier sur elles, c'est de leur laisser leur jeu le plus pur, le
plus souple et le plus innocent.
Le difficile est de maintenir
toujours une parfaite simplicité dans l'accueil que nous faisons à tout ce qui
peut nous être donné. Quelques-uns n'ont de regard que pour quelques mouvements
sublimes qui produisent dans l'âme une exaltation d'un instant. Mais l'âme ne
doit pas les désirer. Elle pense que quand ils lui manquent elle n'a plus rien.
Le véritable sublime est quotidien ; il ne produit en nous aucun ébranlement :
il n'est pas ressenti.
La parfaite simplicité qui est
aussi la parfaite innocence est incapable de tromper, mais contrairement à
l'opinion commune, elle est aussi impossible à tromper. Elle déçoit le plus
habile dont les manœuvres, en retombant dans le vide, se découvrent aussitôt à
la lumière.
La simplicité n'exclut pas
l'instinct avec lequel on la confond souvent : mais l'instinct ne devient un
péché qu'après la naissance de la réflexion, c'est-à-dire au moment où
l'amour-propre le met à son service.
La simplicité de l'âme lui
donne une transparence si parfaite qu'on ne la remarque plus ; mais c'est alors
que dans ce clair miroir les choses nous révèlent leur vérité. On ne parvient à
la simplicité que par le dépouillement. Elle ne fait qu'un avec cette sublimité
intérieure que l'on se représente presque toujours tout autrement.
La simplicité c'est d'être ce
que nous sommes, sans vouloir être autre, dans ce grand tout dont nous faisons
tous partie. Elle est une réconciliation de l'individuel et de l'universel.
Elle est l'acte le plus pur que l'individu soit capable d'accomplir mais où il
semble qu'il disparaisse pour rendre visible l'ordre qui règne dans l'univers
dont il participe, sans rien faire pour le troubler. Elle est ce regard direct
que nous jetons sur le réel qui est
libre de toute préoccupation et de toute arrière-pensée et qui seul est capable
de nous livrer cet ordre avec lequel d'avance il est accordé. Dès que la
simplicité manque, cet ordre est méconnu. Mais ce simple regard que ne ternit
aucun désir embrasse le monde tout entier dans sa lumière. C’est un regard qui
descend du ciel et qui vient toucher la terre.
C'est cette unité parfaite
considérée dans son infinie richesse, et qui n'a pas conscience d'être riche.
Elle contient les contraires, mais elle en est la paix, contrairement à cette
tension qui les force à demeurer ensemble, mais dans une unité toujours prête à
se rompre.
La simplicité ne se pose pas de problèmes : elle est cette lumière
naturelle qui devance leur solution. C'est une innocence qui ne peut jamais être
trompée, une liberté sûre d'elle-même qui ne connaîtra jamais ni l'hésitation
ni le choix.
La simplicité nous affranchit de la complication de nos connaissances,
de nos besoins, de nos ressources, elle réside dans un accord avec l'existence
qui surpasse l'ingéniosité de l'intelligence et les artifices du vouloir (c'est
l'intelligence la plus pénétrante, le vouloir le plus parfait et le plus pur).