Il y a un mystère de l'acte, mais qui est la clef de
tous les mystères. L'acte est un premier commencement et il est vain d'imaginer
un être qui lui est antérieur et dont il est lui-même l'acte. Car dans cet être
l'acte est lui même un premier commencement, dont rien dans l'être qui lui est
antérieur ne peut expliquer comment il vient à surgir.
Il n'y a rien qui soit aussi
purement intérieur que l'acte par l'initiative qui est en lui ; et c'est par
l'acte et non par l'état, toujours passif à l'égard d'autre chose, que se
définit l'intériorité elle-même. Mais le miracle de l'acte, c'est qu'il est en
même temps une poussée vers le dehors, vers un effet, vers un futur, de telle
sorte que l'on pourrait penser qu'il est le lien de l'extériorité et de
l'intériorité, soit qu'il ait besoin d'une matière sur laquelle il agit, soit
que cette matière soit pour ainsi dire son produit. Pourtant ce n'est là qu'une
apparence. Car comment l'acte pourrait-il sortir de lui-même ? Si l'on suppose
qu'il croît, c'est d'une croissance tout intérieure. Ce qu'on appelle sa
matière, son effet ou son produit, c'est sa limitation par laquelle il dessine
sa trace sur cela même qui le dépasse et qui, à mesure qu'il progresse, devient
de plus en plus complexe et de plus en plus significative.
On oppose sans cesse l'acte et
la pensée, mais leur liaison doit être si étroite qu'il devienne impossible de
les distinguer. Aucun des deux termes ne peut obtenir son point de perfection
autrement. La vanité de nos actes juge de la vanité de nos pensées. Une pensée
qui n'aboutit à aucun acte n'est qu'un possible sans consistance ; un acte qui
n'est pas une pensée réalisée n'est qu'un mouvement sans signification.
L'activité doit toujours être
supérieure à son objet : autrement elle perd l'aisance et s'embarrasse dans son
effort. Il ne faut jamais vouloir dépenser plus de forces qu'on n'en possède.
Mais il arrive qu'on se rende incapable de quelque tâche en pensant qu'elle
nous dépasse alors que c'est nous qui la dépassons.
Cette double illusion sur
l'acte : de penser qu'il doit avoir une fin, et un effet. Mais il n'a pas de
fin, le présent lui suffit. Il est ce qui ne s'ajourne pas. Il n'a pas d'effet
ou plutôt l'effet n'est qu'un moyen pour lui de s'exercer et de se posséder.