C’est la présence du corps qui va nous permettre de
pénétrer dans le mystère de l’intimité. Car il est contenu dans l’univers dont
il est une partie ; et c’est cette partie d’univers qui paraît seule nous
appartenir en propre ; c’est sur elle que nous régnons ; c’est d’elle
que nous tenons notre nature originale et notre existence même. Il ne faut donc
pas être surpris que celui qui confond l’être avec le donné ne voie rien de
plus dans le moi que dans le corps. Mais encore faut-il qu’il le voie. Et si
l’empirisme est une position intenable, c’est qu’il n’y a point de donné sans
un acte qui se le donne. Or cet acte, à partir du moment où je ne me borne pas
à l’accomplir, mais où je sens que je l’accomplis, paraît constituer l’essence
du moi d’une manière beaucoup plus profonde que le corps. Bien plus, le corps
est dorénavant relégué à l’état de chose : seulement cette chose ne peut
pas être sans relation avec l’acte qui la saisit et c’est pour cela que j’en
ferai une représentation qui n’a plus de sens que par rapport à moi. Ainsi,
tandis que mon corps me permettait de m’inscrire dans l’univers, ma pensée,
sans laquelle mon corps n’existerait pas comme donnée, inscrit en elle cette
donnée avec toutes les autres. Il y a donc bien dans cette pensée elle-même une
infinité qui lui permet de se reconnaître immédiatement comme adéquate au
Tout ; mais, pour qu’elle soit nôtre, il faut qu’elle contienne le Tout
seulement en puissance, c’est-à-dire qu’elle rencontre toujours de nouvelles données
qui, sans elle, ne seraient rien et qu’elle actualise tour à tour.
(Version inédite de De l’Acte, texte dactylographié sans date, p. 239)