Il est
nécessaire d'appréhender d'abord la vérité totale dans une sorte d'intuition
sans objet dont les vérités particulières sont pour ainsi dire des parties.
Alors celles-ci apparaissent à leur rang dans un mouvement aisé et lumineux.
Mais celui qui ne s'attache qu'aux vérités particulières et pense qu'elles se
suffisent trouve en elles une masse d'ombre qu'il ne réussit pas à traverser ;
et la subtilité avec laquelle il s'y efforce accroît l'obscurité au lieu de la
chasser.
La difficulté dans les
sciences, dans les arts comme dans la philosophie c'est d'accomplir cette
double opération qui consiste à analyser et à recréer le réel, mais en
maintenant toujours le contact avec lui, en ressentant la totalité de sa
présence, en faisant nous-même corps avec lui en sachant mettre en lui par
avance toutes les vues successives que nous pouvons en avoir.
Pour découvrir la vérité et
seulement pour la percevoir, il faut la simplicité et si l'on peut dire la
nudité du cœur. La curiosité et les efforts de la raison retiennent et
embarrassent l'esprit dans les chaînes de la vanité.
Le principe fondamental de la
méthode c'est qu'on ne peut avoir l'expérience que d'un acte, et que cet acte,
en avoir l'expérience, c'est aussi l'accomplir.
Il ne s'agit pas de forcer
notre esprit, mais de le placer en ce point d'où il pourra tout découvrir et
voir tous les aspects du réel se porter au devant de lui avant même qu'il ait
entrepris de les rechercher. Alors seulement notre activité trouve non pas son
terme, mais la perfection de son exercice. Elle me donne non point la
possession d'un bien acquis une fois pour toutes, mais la libre disposition
d'une faculté qui le renouvelle et le multiplie indéfiniment. Et je n'ai rien
fait encore pour un autre tant que je ne l'ai pas conduit jusque-là.
On ne sait rien tant qu'on se
contente de le retenir, sans l'employer. Une connaissance n'est acquise qu'au
moment où elle cesse d'être une connaissance, où elle est devenue moi-même,
c'est-à-dire mon être personnel et agissant. Ce qui montre que la connaissance
est médiatrice de l'existence dans un être dont toute l'essence est
participante. Car c'est au moment où la connaissance cesse d'être abstraite, et
objective (ce qui revient au même) c'est-à-dire au moment où elle cesse d'être
une connaissance, qu'elle s'incorpore au moi, à la vie même de la personne, qui
est désormais transformée et recréée par elle.
Le propre de la méthode, c'est
de nous permettre de reconnaître ces moments de lucidité dans lesquels la
réalité s'illumine, de les multiplier, d'en garder le souvenir et d'en faire le
train habituel de notre vie.
Il est plus important encore de
savoir s'établir dans des vérités anciennes que de découvrir des vérités
nouvelles.
Il n'y a point de question
particulière dans laquelle on puisse penser qu'on introduira un jour une
lumière nouvelle. On porte en soi toute la vérité, bien qu'on ne l'embrasse pas
directement tout entière, de telle sorte que quand on pense s'accroître, c'est
qu'on découvre sa propre richesse. Toute connaissance est dans une analyse de
soi dont la perception du monde est seulement l'instrument.
La connaissance est une
communication spirituelle dont le type le plus pur est réalisé par l'amitié :
en elle seulement se réalise cette forme parfaite de la relation du sujet et de
l'objet qui est la réciprocité, de la relation entre le même et l'autre qui est
leur communion. Et c'est là encore le modèle sur lequel doivent se régler aussi
la connaissance de la nature, de soi ou de Dieu.