C'est à la
cime de l'âme, où elle est le plus près du ciel que la grâce nous touche : elle
ruisselle ensuite sur les pentes.
À la cime de l'âme tout est suprême activité et suprême repos, suprême
exaltation et suprême détente, suprême liberté et suprême nécessité.
Mais l'espace est si petit qu'on est toujours sur le point de tomber :
le moindre mouvement suffit à nous entraîner. C'est un équilibre où l'on croit
ressentir une parfaite sécurité et dont on sait pourtant qu'il ne peut pas
durer, qu'il est toujours menacé de se rompre.
C'est un état de plénitude et de joie mais qui est si intense et si
profond que l'on ne sait plus le distinguer d'un état de souffrance et
d'angoisse.
C'est une tension extraordinaire de l'émotion où se rencontrent à la
fois tous les secrets que l'analyse nous découvrira tour à tour et l'union de
tous les contraires que la vie ne cesse d'opposer l'un à l'autre : là il n'y a
plus de différence entre le moi et l'autre, entre la joie et la douleur, entre
donner et recevoir. Loin de dire que la conscience est abolie, nous en occupons
le foyer.
C'est le moment où l'âme vit dans un oubli si profond de tout ce qui
lui appartient que l'existence même se retire d'elle. L'âme ne désire alors ni
la mort ni la vie. Elle les compose miraculeusement : c'est le point où jaillit
cette flamme de lumière dans laquelle la matière se consume.
Alors elle remonte jusqu'à la source même de toute activité créatrice,
jusqu'au point où l'être et l'acte ne font qu'un.
La cime de l'âme, c'est l'éveil
de ce suprême désir qui naît au fond de toutes les consciences, mais qui ne
peut naître sans être aussitôt comblé, de cette aspiration infinie qui
rencontre l'absolu en chaque point, qui nous rend indifférent au lieu, au
temps, à l'événement, mais en donnant un sens à toute chose même la plus
petite, et sans lequel la conscience n'a plus d'autre expérience que celle du
divertissement, du doute, de la fatigue, du vide, de l'ennui et de la mort.
Dans cette sorte de présence à
l'être pur toutes les différences de niveau entre les
individus se trouvent abolies. Toutes les œuvres temporelles, l'ordre dans
lequel elles ont été produites, l'effort qu'elles ont coûté, le mérite qu'elles
nous ont valu s'écroulent tout à coup. Le but fait oublier le chemin : la
recherche est réduite à rien ; il n'est plus possible d'en tirer vanité. Et la
véritable simplicité de cœur consiste toujours à remercier le Ciel des dons que
l'on a reçus et qui sont sans comparaison avec les efforts de la volonté et non
pas à admirer qu'ils nous aient porté jusque là. La surabondance du don que
nous avons reçu par rapport à tout ce que nous avons pu faire pour l'acquérir
et de l'éternité rencontrée par rapport à toutes les étapes de notre pèlerinage
temporel justifie le paradoxe de Mathieu qui veut que la récompense soit égale
pour les travailleurs de la première heure et pour ceux de la dernière. Mais
qui oserait conclure à l'inutilité de toute action ? Car ce qu'elle cherche
c'est Dieu à tout instant et non pas seulement au terme.