Il ne faut jamais laisser entamer la solitude intérieure. Il n’y a qu’elle qui compte, car il n’y a qu’elle qui nous mette en rapport avec Dieu. L’autre n’en est qu’une image souvent trompeuse et qui nous rend misérable et nous laisse en face de nous-même.

 

Nul ne fera jamais rien de grand dans le monde s’il n’est pas capable de ramasser en lui toutes ses puissances et de s’enfermer dans une solitude intérieure comme dans un œuf séparé du dehors par une coque imperméable jusqu’au moment où, brisant lui-même la coque, il viendra éclore à une vie libre et indépendante.

 

La volonté de solitude et la volonté de puissance semblent deux contraires. Il n’y a point de puissance pourtant qui n’engendre la solitude. Et la solitude elle-même n’est que le désir d’une puissance plus parfaite et plus secrète.

 

La solitude est à la fois la marque de notre force et de notre faiblesse, de notre force lorsqu’elle exerce en nous toutes les puissances de la nature humaine et nous ouvre sur la totalité des possibles, de notre faiblesse lorsqu’elle nous enferme dans les limites du moi particulier et y découvre ce qui lui manque.

 

Le propre de la solitude, c’est de replier chaque être sur ses propres virtualités. En se retirant du monde, il semble que tout vient à lui manquer. Mais il découvre alors ce pouvoir que nous avons de tout nous donner à nous-même et qui est la vie même de notre esprit. Seulement ces virtualités ne sont rien si nous ne consentons pas à les mettre en œuvre : et c’est dans la société des autres hommes qu’il nous appartient de les exercer.

 

La valeur de la solitude est de nous obliger à nous mettre en présence de ce que nous sommes, c’est-à-dire de ce qui nous constitue et qui doit être distingué de tous les accidents de notre vie. Nous ne sommes pas un simple jeu de relations ; celles-ci manifestent nos puissances, mais souvent les entravent.